« Dans un cristal, il nous est montré clairement l’évidence de l’existence de la formation d’un principe de vie. Et bien que nous ne puissions pas comprendre la vie d’un cristal, il est néanmoins un Être vivant » (Nikola Tesla, 1900)
Les morphologies biomimétiques colorées des jardins chimiques sont une imitation fascinante de la vie. La clé de ces merveilleuses structures, qui restaient jusque-là enfermées dans les cabinets de curiosités d’alchimistes, est l’intérêt renouvelé de la recherche pour la chimiobryonie, un domaine combinant la chimie, la physique, la biologie et la science des matériaux. La chimiobryonie désigne l’auto-propagation ou croissance de structures chimiques ayant tendance à augmenter les gradients de concentration dans des conditions de pression osmotique et de flottabilité. La recherche dans ce domaine est depuis peu remise au goût du jour et agite la communauté scientifique qui cherche dans ces formations abiotiques la racine des proto-cellules biotiques. Ainsi, en quelques siècles, les jardins chimiques sont passés du factice à la réalité ; d’imitations enfantines de la vie à la pure origine de la vie sur Terre. Time Displacement est une performance durationnelle qui fait des jardins chimiques des optiques pour observer les changements de la perception culturelle du monde et des pratiques de différenciation entre matière organique et matière inorganique. Cette perception modifiée de la matière est rendue possible grâce à la recherche interdisciplinaire, qui contribue à une compréhension plus holistique des processus (géologiques, chimiques, sociaux, politiques) de notre monde. Bien que la notion ne soit pas nouvelle, les jardins chimiques émergent comme un domaine de recherche inattendu et un excellent exemple pour comprendre la chimie des processus d’auto-organisation non équilibrée qui créent des structures complexes, combinant la chimie, la dynamique des fluides et la science des matériaux. Si la recherche dans le domaine de la chimiobryonie trouve sa légitimation dans le développement de nouveaux matériaux aux applications commerciales, Time Displacement ne nie pas non plus une fascination désintéressée pour les potentiels de développement dans le champ des nanomatériaux. Conçu comme une performance durationnelle dans un laboratoire ouvert, Time Displacement prend le point de vue de l’histoire de la science pour parler de découvertes qui ne sont pas seulement le résultat de recherches méticuleuses, mais aussi un produit de l’environnement culturel. Utilisé également comme point de départ pour des expériences sonores live chimico-acoustiques, l’installation comprend plusieurs petites formations de jardins chimiques dans des aquariums en verre contenant une solution de silicate de sodium, pour donner un aperçu de la recherche sur l’origine de la vie et sur des processus chimiques se déroulant à une vitesse qui est certes rapide, mais encore trop lente pour être discernable à l’œil nu.
Dans sa version installation les réactions chimiques, où les changements deviennent visibles sur une durée de 8 à 48 heures, sont surveillées par des caméras pour détecter les changements de couleur et de forme au moyen d’un microcontrôleur. Les changements affectent le code de génération du son live, et travaillent lentement pour modifier l’harmonie diffusée dans l’espace de la galerie. L’installation d’art sonore se situe ainsi au-delà de la perception humaine du temps et ouvre une autre perspective sur les multiples dimensions des rythmes temporels dans l’espace.