Meta-Google confronte l’héritage de Burroughs avec Google, entreprise symbole du soft capitalisme global qui caractérise notre époque, afin de questionner notre relation avec la prolifération digitale d’images. William Burroughs est sans doute l’un des artistes les plus influents du 20ème siècle. « Son écriture expérimentale, son usage particulier du hasard comme processus créatif et surtout le fameux “Cut-up” – technique développée par Burroughs avec l’artiste Brion Gysin dans le Paris des années 1960, m’ont inspiré pendant très longtemps. Avec la déconstruction aléatoire et non linéaire des textes, le “Cut-Up” permet de créer un nouveau langage qui a pour moi une correspondance évidente avec les univers digitaux et technologiques propres à notre époque. William Burroughs était fasciné par les stratégies de contrôle et par le langage humain. Il croyait que le langage était un parasite, un virus venu de l’espace. D’après lui, l’écriture était arrivée bien avant la communication verbale : « Je soutiens la théorie selon laquelle dans la révolution électronique le virus est rien d’autre qu’une petite unité de parole et image », ce qui avait amené Burroughs à écrire de nombreux essais sur le système de contrôle des langages écrits et sur leur relation à l’image. J’ai sélectionné quelques citations que je souhaite intégrer dans la création de cette œuvre :
«Image is Time, Time is Junk.
Words are still the principal instruments of control.
What is word?—Image is trapped in word—Do you need words?
The scanning pattern we accept as reality has been imposed by the controlling power on this planet oriented towards total control. »
Dans un premier temps Internet, suite à sa démocratisation dans les années 1990, avait été accueilli comme une opportunité unique de pouvoir changer le monde. Cependant, comme il a été souligné par Edgar Snowden, il s’est rapidement révélé être l’infrastructure d’une surveillance de masse dans laquelle nous sommes tous observés et contrôlés. Cela a drastiquement changé la manière dont nous considérons Internet aujourd’hui : d’une vision utopique capable de changer le monde à un système de contrôle proche de ceux évoqués par Burroughs. L’entreprise Google (aujourd’hui devenue Alphabet) avec l’omniprésence de son moteur de recherche et son implication dans de nombreux domaines de recherche, a cristallisé le scepticisme croissant vers un futur digital ne faisant que d’accroître. L’Intelligence artificielle et la conscience cybernétique, avec leur questionnement sur la vie et la mort, en sont un très bon exemple. Pour aborder des sujets aussi cryptiques dans mon processus créatif j’ai utilisé Google Search, l’explication visuelle la plus accessible de comment les algorithmes, les Big-Data et l’intelligence artificielle sont en train d’affecter et d’impacter nos vies quotidiennes. Pendant plusieurs années j’ai collecté des images trouvées sur Gooogle Search et issues de la recherche du mot « Google » dans le moteur de recherche en différentes langues avec une fréquence mensuelle, ce qui m’a permis de constituer un fond de data de centaines de milliers d’images. Ce qui m’intéresse dans ce processus de récolte c’est la relation qui existe entre toutes ces images, la méta-image ou la métahistoire qu’elles peuvent raconter mais aussi la mesure dans laquelle elles sont représentatives du flux d’images d’Internet et leur façon d’aborder les problèmes liés au mécanisme de contrôle dans notre lecture d’elles. Si cette recherche du mot “Google” sur Google a commencé comme une quête critique et ironique (l’histoire des «sprinkled sprinklers» …), j’ai finalement été réellement attiré par ce que j’ai trouvé: les images issues de ma recherche se rapportent à deux thèmes différents et opposés. Comme prévu, de nombreuses images présentent des matériaux de marketing Google (logo, produits, événements d’entreprise …) ainsi que la vaste gamme d’activités de Google dédiées au futur : AI, Virtual Reality, Biotech. Cependant, un ensemble similaire d’images concerne aussi des images anti-Google de toutes sortes de blagues ou d’activismes contre la surveillance globale (« stop NSA », « pro-Snowden »), contre le capitalisme numérique (« Occupy ») et contre Internet lui-même (« Hors de la grille »). J’ai aussi récemment remarqué que de plus en plus d’images de Google trouvées sur Google sont liées à la vision et à l’œil humain : Google glass, casques de VR, etc. Avec Google Art Project, enfin, et la numérisation de tous les chefs-d’œuvre conservés dans les musées, Google offre aujourd’hui des images détaillées de peintures classiques et notamment des zooms sur les yeux des personnages représentés, comme celui sur l’œil de la Mona Lisa…
Le lenticulaire est l’un de mes processus préférés car il me permet d’empiler un grand nombre d’images et de créer une surface pleine d’effets visuels inattendus. En employant beaucoup plus d’images que nécessaire, je maximise les conditions pour les accidents visuels et crée de la place pour le flou, le tremblement ou le hasard que j’aime confronter avec le processus numérique froid et presque trop parfait. Cette procédure me permet également de jouer avec le regard du spectateur. En fonction de sa position, l’expérience visuelle n’est jamais la même. La lecture d’images numériques devient très différente de la vision rétinienne conventionnelle des images. Les images circulent, elles circulent continuellement, et le regard du spectateur devient de plus en plus dynamique, il n’y a plus de distance entre lui et ce qu’il voit, les images numériques nous submergent et nous entourent. Pour moi, le matériel lenticulaire questionne également ce nouveau paradigme de lecture des images, en apportant une expérience physique et temporelle où le spectateur doit se déplacer pour pouvoir voir. À partir des centaines de milliers d’images de Google trouvées sur Google, une sélection aléatoire est imprimée sur du matériel lenticulaire puis collée sur une feuille de métal noir. Pour moi, cet assemblage noir est une sorte de geste iconoclaste : le fond noir tend à effacer toutes les images et à les transformer en une grande image noire monochromatique. Mais il y a encore quelques traces, des ombres, des images fantômes, visibles à travers la transparence créée par l’espace coupé et vide du texte de Burroughs ou par les angles latéraux et les reflets extérieurs. Et ces ombres fantômes révèlent une sorte d’intensité négative, nous annonçant que quelque chose est sur le point de disparaître. Le paradigme de notre relation avec les images a changé. Internet génère une profusion d’images dans lesquelles il n’y a rien à voir. Dans ce travail « Meta-Google », j’essaie d’interroger cette situation. Ces pièces parlent de la disparition des images par leur circulation et leur prolifération, et font écho en quelque sorte au développement de l’intelligence artificielle ou de la technologie biologique où le but ultime est la mort de la mort et la disparition potentielle des êtres humains en tant qu’espèce biologique. Cette série « Meta-Google » tend à créer une image qui soit le miroir de sa propre disparition, une méta-image qui transmet le sentiment que derrière chaque image il y a quelque chose qui va disparaître. Par conséquent, un écho à l’iconoclasme de Burroughs : « Rub out the word, word begets image, image is Virus. »